fév 01 2010
Remerciements & adieux
Le moment, chers lecteurs, est venu de nous quitter. C’est ici le dernier article d’une série que je suis content d’avoir réalisée, mais dont le sujet n’éveille plus en moi de nouveaux désirs, si j’ose m’exprimer ainsi : je ne vois pas ce que je pourrais ajouter.
J’ai essayé d’évoquer des aspects de l’Annexion qui n’étaient pas très connus, et qui sortaient avant tout des livres d’autrefois que j’avais pu lire.
Je n’ai pas voulu porter de jugement global trop net sur l’Annexion, car je pense que quand on saisit les faits de l’intérieur, qu’on les place dans son cœur, pour ainsi dire, et qu’on les laisse s’animer d’eux-mêmes, se joindre – ou au contraire se disjoindre – et se constituer en réseaux cohérents, tendant à l’unité, le jugement naît de ses forces propres : il relève soudain de l’évidence, selon moi.
Mon opinion, en effet, est que le jugement n’est pas une idée toute faite, ou créée de l’extérieur, qu’ensuite on plaque sur les choses : je crois que les choses portent en elles-mêmes leur valeur, laquelle se fait jour peu à peu, ou alors grâce à l’intuition des historiens, voire des poètes, ou simplement des philosophes. A partir du jugement qui au bout du compte éclôt spontanément de la végétation des faits, le politique agit : comme le comte de Savoie dans la Genève médiévale, il exécute ce qu’il faut exécuter (car on sait que le comte de Savoie a hérité de la charge du vidomnat, à Genève, qui lui permettait d’exécuter les décisions des juges liés à l’Évêque, auquel bien sûr revenait la souveraineté sur la cité). Je pense que l’historien met en place les faits, qui d’eux-mêmes créent le jugement, sur lequel, au fond – et s’il a bien fait son travail -, tout le monde est d’accord. Le bras du corps social – qui est le politique -, ensuite, n’a plus qu’à prendre les décisions qui s’imposent pour appliquer ce jugement. Qu’il le fasse de lui-même, ainsi que devaient le faire les bons princes d’autrefois, ou contraint par un programme sur lequel il est élu, n’y change finalement rien, l’élection étant surtout un moyen de surveiller les politiques, de veiller à ce qu’ils agissent conformément à ce que tout le monde admet comme juste, et non selon leurs intérêts propres – comme, il faut le reconnaître, les princes ont fini par le faire souvent : de fait, on pourrait déjà dire que Victor-Emmanuel II fut surtout mû par le souci de ses revenus, durant son règne !
Je voudrais remercier le créateur de ce blog, l’auguste Dahu – de légendaire mémoire -, de m’avoir proposé de le nourrir, car ce fut une expérience merveilleusement enrichissante, qui m’a aidé moi-même à avoir sur ces événements et sur la Savoie en général une vision à la fois plus profonde et plus globale, plus vaste.
Je dois remercier également les commentateurs, qui ont témoigné une affection ardente, en général, pour leur petite patrie – comme on disait autrefois – et m’ont amené à préciser à la fois ma pensée sur les événements et la conception que j’ai du rôle de l’historien, ou de celui qui scrute l’histoire pour en saisir le fond et l’essence, comme j’ai ici essayé de le faire. Peut-être eût-il été souhaitable que des intervenants regardant la réunion de la Savoie à la France d’un œil globalement favorable intervinssent aussi : pourquoi pas ? Je trouve que toutes les opinions devraient pouvoir s’exprimer harmonieusement, car jamais les choses ne sont tout d’une pièce. La vérité embrasse toutes les tendances, les bonnes et les moins bonnes, et l’avenir même ne peut, à mes yeux, être fondé que sur un équilibre de toutes les forces qui peuvent orienter le regard – et le tirent effectivement dans des directions différentes, dans les faits.
L’équilibre ne signifie pas la neutralisation de ces forces : il faut bien que certaines tendances soient mieux portées que d’autres par ce qu’on appelle le Sens de l’Histoire.
Quand on va vers un endroit nouveau, de fait, s’il ne faut pas aller trop vite, c’est parce qu’il faut regarder si les voies de droite ou de gauche ne pourraient pas être empruntées de préférence à celle qui continue tout droit ; et à la fin, il faut décider.
Quatre directions sont toujours possibles, en principe : car on peut aussi revenir en arrière.
Mais l’équilibre, c’est justement d’observer, de peser, et d’avancer en conservant avec soi sa raison et son jugement. Même une idée qui dès le départ a paru lumineuse doit pouvoir s’épurer, se corriger, se compléter par l’expérience : il faut, donc, continuer à la mouvoir au sein de sa pensée. Telle est en tout cas ma façon de voir. Notre éducation nous pousse à avoir des objectifs clairs, mais je crois qu’à cet égard, trop de clarté n’est pas souhaitable, parce qu’elle simplifie à l’excès les choses, et soit bloque le timide qui verra se dresser sur son chemin des obstacles, soit précipite sur ces mêmes obstacles le tempérament passionné. La souplesse doit demeurer maximale, afin de permettre l’adaptation, et le but doit rester lumineux sans arborer des formes trop délimitées. Cela lui ferait du reste perdre de son éclat, car la lumière ne demeure pas dans ce qui se cristallise trop. Le but, en devenant un objectif, perd de sa poésie, et cesse de rayonner dans l’âme…
Rémi Mogenet
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