sept 28 2009
Les sentiments ambigus d’Amélie Gex
Amélie Gex (1835-1883) est connue pour sa belle poésie en dialecte de Challes, près de Chambéry. Le surnom masculin (Dian de la Jeânna) qu’elle a longtemps pris pour signer ses poèmes publiés dans la presse locale rappelle que la société savoisienne était dirigée par les hommes: dans l’ancien droit du royaume, les filles ne touchaient qu’une dot, et les aînés bénéficiaient de la moitié des biens paternels ; les autres garçons se partageaient le reste.
Cependant, Amélie Gex n’en gardait pas de rancœur, vis à vis de l’Ancien Régime. Au contraire, ses écrits en prose française (rassemblés sous le titre Vieilles choses et vieilles gens) manifestent une nostalgie marquée, à l’égard de la personne même du Roi. Cet attachement des Savoyards en général à la dynastie de Savoie est quelque chose qu’on n’a jamais mesuré suffisamment. Même en 1859, comprenant l’orientation italienne de Turin, et qu’ils allaient en faire les frais, ils protestèrent, au Parlement, et votèrent unanimement contre les crédits alloués à la guerre qui se préparait contre l’Autriche en Lombardie. Ils devinrent français parce qu’ils avaient été rejetés par le Duc, et non parce que les rois de France eussent jamais été pour eux une référence.
L’attachement sensible d’Amélie Gex à la Maison de Savoie est d’autant plus paradoxal que du temps du Duché, on n’imprimait quasiment rien, en dialecte : ce qui s’écrivait en langue locale demeurait à l’état de manuscrit, ou était intégré, comme curiosité, à des ouvrages globalement en français, qui était la langue des magistrats et des prêtres (alors que, en France, au moins les seconds continuaient souvent d’utiliser une langue « régionale », comme le basque ou le breton : mais la Savoie, à l’image de la Suisse romande, et à la suite de Calvin puis de François de Sales, pratiquait le français même au sein de son Église).
Les libertés de la presse acquises après la chute de Napoléon III et l’instauration de la IIIe République ont beaucoup fait pour permettre au dialecte savoyard de s’imprimer. Et de fait, toujours d’une façon paradoxale, Amélie Gex était républicaine, et rejetait le bonapartisme. Pourtant, elle demeurait fidèle aux traditions, prônant le travail, et chantant la vie pastorale, comme plus tard le fera Jean Giono !
Il est difficile de dégager une constante idéologique, au sein de l’ancienne Savoie, mais le sentiment d’attachement aux princes de Savoie et l’aspiration paradoxale à la liberté, ainsi que le respect des traditions séculaires et paysannes, pourraient en constituer un résumé, qu’incarne bien Amélie Gex…
Rémi Mogenet.
Commentaires fermés sur Les sentiments ambigus d’Amélie Gex