nov 30 2009
Expressions de la patrie de Savoie à l’aube des temps modernes
A propos de la réponse véhémente que le poète chambérien Marc-Claude de Buttet, au XVIe siècle, fit au Lyonnais Barthélemy Aneau, qui dressait de la Savoie un tableau pitoyable, j’ai déjà montré que le patriotisme, en Savoie, n’est ni une invention contemporaine, ni un fait récent. On sera amusé d’apprendre qu’à la fin de ce même XVIe siècle, un illustre représentant de la Maison de Pingon, Philibert, fut lui aussi un ardent patriote. Né à Chambéry en 1525, il marqua sa joie, lorsque, en 1559, la Savoie, après avoir été gouvernée par la France durant plus de vingt années, fut rendue au Duc – qui était alors Emmanuel-Philibert, Tête de Fer.
Ce Philibert de Pingon fut un personnage de premier plan, participant au gouvernement des États de Savoie, et ayant aujourd’hui encore une rue à Turin. Il restaura culturellement la Savoie, en reprenant la mode des anciennes chroniques, qui avait commencé, à peu près, sous Amédée VIII, au début du XVe siècle. Mais au lieu de les écrire en français, comme on l’avait fait jusque-là – Amédée VIII même y étant attaché -, il marqua son rejet de la France par sa volonté de rédiger en latin ces chroniques, généalogies et mémoires dont il se rendit l’auteur.
Loin de se plaindre que la capitale des États de Savoie eût changé, Turin ayant remplacé Chambéry en 1562, il fit carrière dans la nouvelle capitale, fier de servir un prince qui avait repris son duché aux Français.
Cet accès de fièvre patriotique ne lui fut pas propre. Sans doute, au milieu du XVIIe siècle, le Bressan Guichenon (1607-1664) devait être chargé de rédiger en français une nouvelle histoire de la dynastie, et il devait contester les fières origines qu’avait données Philibert de Pingon à celle-ci en la faisant remonter aux anciens rois de Saxe, ceux du VIe siècle. Mais il faut faire remarquer, déjà, que les ducs de Savoie lui interdirent de publier cette contestation de leur origine en Bérold, neveu de l’Empereur Conrad de Saxe.
Et ensuite, au début de ce même XVIIe siècle, et dans la foulée de Philibert de Pingon, il exista bien un désir de construire une mythologie nationale propre à la Savoie, et deux épopées au moins furent tentées, alors : celle d’Alfonse Delbène (1540-1608), membre de l’Académie florimontane, sur Amédée VI, le Comte Vert, et celle d’Honoré d’Urfé (1567-1625), lui aussi membre de cette Académie annécienne, sur les origine glorieuses de la dynastie (à laquelle il était lui-même lié par sa mère), intitulée la Savoysiade. Même si ces deux épopées restèrent inachevées, elles attestent d’un désir, à l’aube des temps modernes, de se construire collectivement comme entité autonome et originale. Assurément, il faut voir là les origines du sentiment patriotique savoyard qui s’exprima encore tout au long du XIXe siècle.
Rémi Mogenet.
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