Ecole d'horlogerie fondée en 1848
L’impression qu’avaient les Savoyards d’être économiquement isolés, sous la restauration sarde, a été expliquée par Stendhal – on l’a vu – par le souvenir de Napoléon, sous le règne duquel la frontière avec la France était ouverte et donc n’empêchait pas les échanges. Il faut se souvenir que Genève faisant alors partie de la France, même avec cette cité de Calvin, le commerce se développa considérablement.
Mais l’impression d’enfermement existait aussi par rapport à l’ancien royaume de Sardaigne, celui qui avait précédé la Révolution, notamment dans le nord de la Savoie. En effet, au-delà même de Genève et de la Suisse, avec lesquelles les relations demeuraient tendues, les Savoyards du nord se rendaient constamment, à cette époque, en Allemagne.
Georges Muffat
On a volontiers oublié que la Savoie paya un tribut au Saint-Empire romain germanique jusqu’à la dissolution de celui-ci, en 1806. Cela rapprochait politiquement la Savoie du monde allemand en général, et les Savoyards sont ainsi nombreux à s’être illustrés dans ce qu’on nommait alors généralement les Allemagnes. On se souvient du prince Eugène, qui, au début du XVIIe siècle, fut couronné de gloire à Vienne, ainsi que du compositeur Georges Muffat (1653-1704) qui, originaire de Megève, fit fortune à la cour de plusieurs princes allemands : il fut l’un des inspirateurs de Haydn, par exemple.
Qu’il fût originaire de Megève est significatif, car, pour une raison un peu obscure, les habitants du Faucigny (ou Faucignerands) ont réellement été à la pointe de ces relations avec le monde allemand. Horace-Bénédict de Saussure, passant à Magland vers 1775, déclare qu’on y est aisé parce qu’on va constamment en Allemagne pour y accroître ses richesses. Et on connaît l’histoire du décolletage (telle que la présente le musée de Cluses) : à l’origine, il s’agit d’un horloger de Saint-Sigismond, près de Cluses, qui, ayant séjourné à Nüremberg au début du XVIIIe siècle, y perfectionna son art au contact des horlogers allemands, et qui, de retour au pays natal, en 1720, y fonda un atelier qui ne tarda pas à avoir du succès. Celui-ci se développa, notamment par le commerce avec Genève, et l’École d’horlogerie de Cluses fut finalement fondée par le roi Charles-Albert, en 1848. (Au cours du XXe siècle, le décolletage, on le sait, fut mis au service de l’automobile française.)
Néanmoins, après la Restauration sarde, ce débouché allemand fut complètement supprimé : la rupture entre la Savoie et l’Autriche avait été consommée par la dissolution du Saint-Empire, qui fit naître, en Italie, une idée nationale que s’empressa de reprendre à son compte le roi de Sardaigne. L’Autriche tenant la Lombardie et la Vénétie, la guerre était inévitable, et elle eut lieu. Elle fut d’ailleurs l’occasion de l’Annexion, comme on ne l’ignore pas, car le Roi avait besoin de la France pour l’emporter sur l’Autriche, et il fallut la payer de Nice et de la Savoie. La seconde n’était d’ailleurs pas très enthousiasmée par l’idée nationale italienne. (Pour Nice, Garibaldi tend à montrer le contraire.)
Bref, pour la Savoie, à certains égards, la situation, sur le plan économique, était en fait plus difficile, au XIXe siècle, qu’elle ne l’avait été avant la Révolution. Les difficultés avec la Suisse s’étant aplanies, on comprend que dans le Faucigny, on ait beaucoup compté, en 1860, sur les relations commerciales avec celle-ci pour retrouver une activité économique florissante.
Rémi Mogenet.