Archive pour décembre, 2009

déc 28 2009

Les marquis Costa de Beauregard et la France éternelle

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Charles-Albert Costa de Beauregard

Charles-Albert Costa de Beauregard

Je ne sais plus où j’ai lu que lors de la réception de l’historien et écrivain savoyard Charles-Albert Costa de Beauregard (1835-1909) à l’Académie française, en 1896, des voix se sont aussitôt élevées contre cet accueil favorable fait à un homme qui était l’héritier d’une famille liée autrefois de près au roi de Sardaigne, et qui avait si souvent combattu la France dans l’armée de la Maison de Savoie. On rappela toutes les batailles concernées, et on s’offusqua.

A vrai dire, cela ressemble assez à la protestation contre le dernier Prix Goncourt, dont l’heureuse lauréate avait auparavant critiqué d’une façon acerbe le gouvernement actuel : on se souvient qu’un élu de la région parisienne s’est plaint qu’un prix national, symbolisant la tradition française dans toute sa splendeur, pour ainsi dire, a pu être décerné à une dame ayant maltraité aussi vigoureusement le gouvernement français.

Cela reste bien sûr marginal, et la plupart des gens ont jugé cette intervention plutôt grotesque, mais cela montre comment certains ont pu avoir du mal à accepter l’intégration des Savoyards dans l’auguste nation de France, même après l’Annexion. Car le fond de l’affaire est aussi que la dame qui a eu le dernier prix Goncourt a un nom d’origine africaine, qu’elle tient de son père. Et à vrai dire, Charles-Albert Costa de Beauregard ne laissa pas de combattre vaillamment contre la Prusse, en 1870, et on ne le repoussa pas : il fut bien élu à l’Académie française. Tout comme Marie N’Diaye, de son côté, a pu garder son prix, cela va de soi !

Louis XI

Louis XI

Cela dit, les sources de cette défiance, vis-à-vis des Savoyards, sont lointaines. On trouve chez Brantôme (1540-1614), à la fin du XVIe siècle, que le roi Louis XI se méfiait de son épouse, Charlotte de Savoie, parce qu’elle était de nation bourguignonne : on n’entendait pas par là étrangère, comme les savants qui annotent aujourd’hui Brantôme le prétendent, mais issue de l’ancien royaume de Bourgogne, dont la Savoie était la continuation. De fait, les guerres entre le royaume de France et celui de Bourgogne avaient été profondes et durables, et une chanson de geste en dialecte du Dauphiné (et tout particulièrement du pays viennois) datant du XIIe siècle, Girart de Roussillon, en fait état, en prenant parti pour les Bourguignons qui s’étaient battus contre le roi de France Charles le Chauve. Or, les princes de Savoie y sont évoqués par allusions, et ils sont bien sûr liés, par le sang même, à Girart de Roussillon, le chef de la Bourgogne. La différenciation entre les Français et les Savoyards ou leurs ancêtres bourguignons est donc très ancienne. Le royaume de Bourgogne n’a pas été par hasard intégré dans son entier au Saint-Empire, lors du partage des fils de Louis le Pieux…

François Mitterrand

François Mitterrand

Inversement, François Mitterrand, bien au fait de l’histoire de France, et dont la culture s’enracinait dans la tradition de la France dite centrale, n’hésita pas à déclarer que si les deux départements savoyards n’avaient pas voté pour lui, en 1988, c’est parce que la Savoie, ce n’était pas vraiment la France. Ce n’était peut-être qu’une boutade, mais elle en disait long sur une conception de la France liée à un sens social fondamental, et dont l’individualisme alpin – plus typique de la Suisse, ou des pays allemands – se démarque, au fond.

Par delà ce qui subsiste de l’ancienne France, de cette ancienne France des rois de France qui s’est constituée autour de la personne même du Roi, il existe bien sûr la République, à vocation universaliste, et établissant l’égalité de tous les citoyens. Mais il n’en demeure pas moins que la Savoie n’a jamais été intégrée au royaume de France de façon durable, et qu’elle n’a connu la France qu’à travers cet universalisme de principe qui fut celui de l’Empire et est encore celui de la République. Que la Savoie ait eu ses propres princes, avant son insertion dans la République ou l’Empire, la met culturellement en marge, et c’est tout ce qu’exprima le rejet dont fit l’objet, au nom de tous ses ancêtres marquis, Charles-Albert Costa de Beauregard.

Rémi Mogenet.

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déc 21 2009

La conquête de Chamonix au lendemain de l’Annexion

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Théophile Gautier

Théophile Gautier

Une des promesses faites aux Savoyards par Napoléon III, à l’Annexion, était de construire des infrastructures modernes, et en particulier des routes, en Savoie. Or, Théophile Gautier (1811-1872), en 1862, vient à Chamonix, et évoque justement la route que Napoléon III est en train de bâtir pour permettre un accès plus facile à cette vallée d’où l’on peut gravir le mont-Blanc.

Eugène Labiche

Eugène Labiche

D’ailleurs, l’Annexion a provoqué la venue à Chamonix de nombreux Français. Le dramaturge Eugène Labiche (1815-1888) s’en est fait l’écho, dans Le Voyage de M. Perrichon, pièce qui a été créé justement en 1860, comme pour célébrer l’intégration du massif du mont-Blanc dans le territoire national : on se souvient que Perrichon, digne bourgeois originaire des environs de Paris, chante les glaciers de Chamonix en termes pompeux et comiques, se prenant pour un héros de l’alpinisme moderne. Les Savoyards sont, dans cette pièce, des guides et des hôteliers : leur rôle est clair. Il est d’accueillir les touristes parisiens. Ce dont ils s’acquittent avec bonne grâce, dans le texte.

Labiche n’avait rien d’un écrivain rebelle au régime. Et quand au lendemain de l’Annexion Gautier vint lui aussi à Chamonix, il raconta son voyage au sein d’un feuilleton destiné à paraître dans la presse parisienne. Or, il ne cesse de s’y extasier des merveilles qu’il distingue dans le paysage, et d’y voir comme le reflet du monde divin, plaçant l’image du Christ sur le Thabor ici, des anges là, des forteresses de géants ailleurs : il crée un monde fabuleux, et ses lecteurs ne pouvaient qu’être attirés par le mont Blanc et ses abords, une fois intégrées ces figures incroyables.

Jules Michelet

Jules Michelet

Le grand historien patriotique Jules Michelet (1798-1874) se fendra lui aussi d’un récit de voyage à Chamonix, en 1867 : il veut sans doute, par là, intégrer symboliquement la Savoie à la France – comme pour y marquer son territoire, car il était considéré comme l’historien, par excellence, de la Nation. Or, lui aussi est plein d’extase et d’exaltation, lui aussi évoque des géants, des fées, des figures fabuleuses, des mystères profonds liés à la montagne, aux glaciers, aux gouffres. Tout l’émerveille et l’enthousiasme, tout déclenche en lui des torrents d’hyperboles et d’images grandioses…

On ne peut pas dire que la France n’a pas joué le jeu du tourisme, plus ou moins consciemment : en faisant du mont-Blanc un mythe vivant, de Chamonix et de la haute vallée de l’Arve un pays au sein duquel les traces des êtres divins ou mythologiques sont clairement perceptibles, les écrivains ont en quelque sorte placé mille idoles éblouissantes le long des routes que faisait, pendant ce temps, construire Napoléon III ! La dynamique d’un tourisme de masse fut instituée précisément de cette manière. Car si les élites se rendaient au pied du mont-Blanc, le reste du monde, pour ainsi dire, allait dans ses parages: les Alpes devenaient une destination magique, un moyen d’épanouissement intérieur.

On ne peut pas dire que Chamonix, en tout cas, n’en profita pas. Car même si le tunnel du mont-Blanc met davantage en danger le tourisme – et, plus directement, la santé des habitants de la vallée de l’Arve, par la pollution des camions -, il ne fut pas construit au lendemain de l’Annexion, mais près de cent ans plus tard…

Rémi Mogenet.

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déc 14 2009

Les hésitations de François de Sales

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Charles-Emmanuel Ier, le Grand

Charles-Emmanuel Ier, le Grand

Le duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier, en guerre larvée contre le roi de France Henri IV, trouva un jour que François de Sales était trop proche de celui-ci : on sait qu’il s’était rendu à Paris, où il avait eu un certain succès, que le roi de France lui proposa l’évêché de Paris, et qu’il le refusa, disant qu’il voulait demeurer parmi ses chères montagnes.

Or, à son maître, l’évêque titulaire de Genève répliqua en renouvelant sa soumission et sa fidélité : Je suis savoisien, s’écria-t-il, et je ne serai jamais autre chose.

On pourrait résumer, somme toute, le sentiment des Savoyards vis à vis de la France, tout au long des siècles, par cette position partagée et ambiguë de François de Sales même. Il écrivit ses livres en français, notamment pour qu’ils fussent compris des dames – qui n’étudiaient pas le latin -, et pour répandre la dévotion jusque dans la vie profane, voulant sortir le mysticisme chrétien du cercle restreint des religieux. On l’accusa d’ailleurs d’avoir mis, en langue vulgaire, et donc à la portée de tous, de profonds mystères, d’essence initiatique : allusion probable aux imaginations qu’il conseillait, permettant de se représenter soi-même guidé par un ange sur un chemin situé entre le paradis – en haut – et l’enfer – en bas. Il encourageait les dévots à se créer un monde intérieur, et cette tendance mystique ne fut pas toujours bien vue : Jeanne Guyon, par exemple, avait été marquée par sa lecture des ouvrages de François de Sales, mais elle fut finalement mise à la Bastille : on jugeait ses voies trop peu orthodoxes.

François de Sales

François de Sales

Si François de Sales rédigea ses ouvrages en français, c’est sans doute en partie parce qu’ils étaient adressés à des dames françaises.

L’Introduction à la vie dévote, par exemple, était destinée à une dame normande qui, après son mariage, s’était installée près de Bonneville… Et puis le diocèse de François de Sales était lié au duché de Genevois-Nemours, avec lequel il se recoupait presque ; or, on a vu, à propos de Vaugelas, que ce duché entretenait des liens avec Paris. De toute façons, cela faisait longtemps que le français était la langue de la Cour, en Savoie.

Saint Anselme de Cantorbéry

Saint Anselme de Cantorbéry

D’un autre côté, François de Sales se défiait réellement de la France, dont il jugeait les mœurs relâchées, peu propres à la dévotion : il était à cet égard très attaché à la simplicité de nos montagnes et du peuple qui y vivait, lequel il estimait spontanément tiré vers le bien, même si cette bonne nature de départ devait à ses yeux être sanctifiée par la religion, et l’enseignement de l’Église. Il était tout à fait patriote, aimant à évoquer les saints de nos montagnes. Il évoqua notamment saint Bernard de Menthon, plus souvent encore saint Anselme de Cantorbéry – originaire d’Aoste -, et il chercha constamment à faire au moins béatifier Pierre Favre, qui était des environs de Thônes. Il conseillait de toutes façons même à ses disciples d’Orléans de se rattacher toujours, en pensée, aux saints patrons du diocèse auquel ils appartenaient. Sur le plan culturel, on ne pouvait pas faire plus hostile au centralisme : la religion, pour lui, devait aussi être locale dans son expression.

Le lien avec la culture française, mais avec un fort attachement à la Savoie et à sa culture propre – la recherche, dans cet esprit, d’une forme d’autonomie donnant un cadre à sa spécificité -, c’est ce qui caractérise certainement les Savoyards en général, et qui fut très sensible chez François de Sales en particulier. La Savoie est certainement une partie de la francophonie, mais son degré de fusion avec la tradition spécifiquement française n’a rien d’absolu, et fait régulièrement l’objet d’une appréciation critique. L’équilibre, à cet égard, semble lui-même devoir rester mouvant, et donc, la nécessité apparaît de rester toujours souple, sur le plan institutionnel. Si les sentiments et les pensées des Savoyards au cours des siècles devaient dégager une ligne de force, on dirait que le lien avec la France est recherché, certes, mais que la dissolution en elle est rejeté : il s’agit d’intégrer un ensemble vaste sans perdre son âme.

Rémi Mogenet.

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déc 07 2009

La notion de rattachement et la date de 1792

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Joseph de Maistre

Joseph de Maistre

On sait que la notion de rattachement de la Savoie à la France en 1860 s’appuie sur l’intégration de la Savoie à la France révolutionnaire, en 1792. Sur les circonstances exactes de ce rattachement du peuple savoisien (comme on disait alors), représenté par l’Assemblée des Allobroges, on pourrait faire de nombreux articles, mais deux lignes de force apparaissent. La première est purement conjoncturelle, comme cela apparaît si souvent lors des échanges de territoires entre États: les émigrés français installés en Savoie après 1789 se sont montrés si arrogants, si débauchés – si malhonnêtes, aussi -, qu’une partie du peuple de Chambéry, notamment, fut trop heureux de pouvoir se rattacher à la République française: cela permettrait de chasser ces nobles insupportables.

De fait, lorsqu’on lit Rousseau ou Lamartine, il apparaît que la noblesse de Savoie était assez proche de la population, plus que ne l’était la noblesse française, qui était pleine de superbe. A cet égard, la noblesse savoyarde ressemblait parfois à celle de Bretagne. A la différence près qu’elle n’était pas entrée en conflit ouvert avec le Roi. Son influence pouvait donc s’exercer assez librement.

Cependant, malgré les réformes que constituaient l’imposition des nobles et la création du cadastre, beaucoup de gens aspiraient à davantage de liberté. Près de Genève, l’influence de la cité de Calvin fut à cet égard importante. Mais les idées libérales se répandaient aussi à Chambéry, par l’intermédiaire par exemple des loges maçonniques.

Sénat de Savoie

Sénat de Savoie

Il y eut également, en profondeur, un sentiment d’humiliation, vis-à-vis de Turin, dès avant la Révolution : les Savoyards étaient blessés par l’influence grandissante des Piémontais, alors que Chambéry conservait une prééminence théorique. Joseph de Maistre par exemple se plaignit que la loge maçonnique mère de Chambéry reçût de plus en plus de directives de Turin, où se trouvaient l’aristocratie financière et la haute administration. Car Joseph de Maistre eut le titre d’orateur, au sein de la loge maçonnique chambérienne à laquelle il appartenait. Au Sénat de Savoie, dont il était membre, il se plaignait, dans ses discours de rentrée, de l’éloignement du pouvoir vis-à-vis du peuple, et en particulier, que ce pouvoir fût exercé sur la Savoie depuis le Piémont. Il fut longtemps jugé extrêmement libéral par le gouvernement central. Même après la Révolution, il demanda au roi Louis XVIII la permission de pouvoir se considérer comme un de ses sujets. Des prémices du rejet de l’Italie qui s’exprima en Savoie en 1859, avec le refus des députés savoyards du parlement de Turin de voter l’emprunt de guerre contre l’Autriche, étaient déjà présents à la fin du XVIIIe siècle.

 Rémi Mogenet.

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